Le disciple Youssef demanda à son maître Abdelrahim ben Moussa : « à quoi sert de polir sans cesse le miroir, Maître ? »

Celui-ci répondit :

« Imagine qu’un homme se regarde dans une gouille d’eau claire et qu’en amont quelqu’un déverse un bidon de mazout dans le courant : l’eau va se teinter de couleurs diverses et en contrebas le visage de l’homme apparaîtra tout irisé. Lorsque l’âme est emplie de désirs c’est de cette manière que son miroir nous renvoie notre image.

Imagine maintenant un deuxième homme avec la même intention que le premier, qui se regarde dans cette même gouille dont l’eau est devenue stagnante et envahie par les algues, faute d’un courant suffisant. C’est ainsi que fonctionne le miroir de l’âme lorsque la paresse le voile !

Le troisième homme, au contraire de ce dernier, est confronté à une surface liquide bouillonnante, car les eaux qui descendent de la montagne ont rompu les écluses et ravagent tout sur leur passage. Le miroir de l’âme est alors semblable à cette turbulence lorsque la colère l’envahit.

Le quatrième homme, lorsqu’il arrive à la gouille pour contempler son visage, découvre que celle-ci est gelée. Ainsi est le miroir de l’âme lorsque l’orgueil s’empare de notre cœur.

Le cinquième homme découvre avec surprise que l’eau a disparu dans la gouille et que quelques maigres filets, insuffisants pour recevoir un visage s’échappent encore par des fissures dans le sol asséché. Ce miroir de l’âme est celui du doute, lorsque l’incapacité à faire confiance et à dire oui dominent en nous et atténuent considérablement la fraîcheur et la créativité de notre cœur.

Ces cinq situations représentent les cinq obstacles sur la voie.

Le maître a pour responsabilité de nettoyer le mieux possible son propre miroir, pour permettre au disciple de se voir tel qu’il est. Ainsi quand le disciple regarde le maître il se voit tantôt désirant, en colère, fainéant, orgueilleux, méfiant et il peut alors rectifier pour réaliser l’harmonie. Le maître, à son tour, rectifie avec joie en regardant son disciple, dont le miroir lui renvoie sa propre image encore imparfaite.

Les deux grandissent ensemble vers la perfection du Gojô en transformant les cinq obstacles en cinq vertus : la chaleur du cœur, la justice, l’estime respectueuse, la connaissance du ciel et de la terre, la confiance empreinte de fidélité.